Hola amigos ! « The Bitch is
back » in black ? (bon allez stop le délire)
The
bitch is surtout back de l’avant-première lilloise de La Vie d’Adèle, chapitre
1&2, réalisé par Abdellatif Kechiche. Ça faisait des mois qu’on
l’attendait, le battage médiatique était à son comble, renforcé par la
polémique cannoise sur les méthodes de tournage de Kechiche, la législation du
mariage gay qui correspondait par hasard à la projection en salle du film. En
quelques mots, l’audience était bien prête à voir le film depuis deux mois,
(date de l’avant-première parisienne, et oui les parisiens sont toujours les
premiers) (ceci était une phrase suicide si prononcée dans le NPDC) voire un
peu lassée du blabla ambiant. Film également très attendu de la communauté
LGBT, comme un soulagement de se voir enfin représentée au cœur d’un film.
Nous
entrons dans le cinéma. Comme pressenti, le public est en grande majorité
lesbien, mais quelques couples hétéros, ou « individus lambdas » s’aventurent
dans ce mystérieux terrain saphique qu’est la salle n°1. En même temps, je
soupçonne un peu *** (pas de name-dropping sorry) d’avoir axé sa promotion sur
le côté alternatif, lesbien, du film pour le présenter plus démocratiquement. Mais c’est du Kechiche, pas un film grand public.
(je précise ceci, non pas par pédanterie, mais pour ceux qui veulent voir ce
film pour son côté divertissant. Certes il l’est en partie, mais si on le
résume à son histoire, cela diminue son intérêt)
On
entre dans la salle. Salle bondée. Deux places, c’est bon. Je cale mes fesses
sur le siège molletonné, une bière entre les jambes cachée sous mon gros
manteau de pervers des rues. L’attente est un peu longue, puis Adèle
Exarchopoulos fait son entrée par le public, suivi des autres jeunes acteurs et
figurants du film, puis de la productrice exécutive du film, Laurence Clerc.
Les questions du présentateur sont, comme dans tout ***, des questions à la
noix, du style « qu’avez-vous aimé à Lille ? », « qu’est-ce
que ça fait de recevoir une Palme d’Or à Cannes ? » et… ah nan en fait pas
de "et", ça s’arrête là. :p Nous passons au film.
Le
scénario du film se base sur la BD de Julie Maroh, Le Bleu est une
couleur chaude et raconte ceci :
« À 15 ans, Adèle ne se pose pas de question
: une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre
Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir et lui
permettra de s’affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres
Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve... »
Ma critique du film :
Je vais commencer par le point qui
m’a un peu gênée qui est la longueur de certains dialogues et de
certains plans, qui pourraient être écourtés, voire supprimés pour faire gagner
le film en intensité. Pourquoi pas en construisant le film en corollaire autour
des trois scènes de sexe intense centrales par exemple.
- Le thème du bleu est subtilement omniprésent.
Comme je l’avais évoqué dans un article
précédent, le bleu présente deux significations antagonistes. A la fois palette
du rêve, du spirituel, du poétique, il s’assombrit de plus en plus au fil du
film pour nous montrer la mélancolie, la douleur, les bleus à l’âme qui
s’emparent d’Adèle. Dans la dernière scène du film, lorsqu’elle voit pour une
dernière fois celle qu’elle a aimée passionnellement, Adèle
(« Justice », en arabe) est saisie d’un dernier élan d’espoir (/désespoir),
se pomponne, et revêt une robe bleu azur, comme pour un premier rendez-vous. On
ne sait d’ailleurs pas au début ce qu’elle espère en se pomponnant :
est-ce un renouveau, une nouvelle personne qu’elle va rencontrer ? C’est
ce bleu d’espoir qui clôture le film, malgré sa fin « triste ».
-
La
trivialité du quotidien acceptée telle qu’elle est
Un autre point fort de LVDA est l’acceptation
de la trivialité quotidienne. Celle-ci est introduite par un jeu sur les gros
plans tout au long du film : à la fois hommage de la beauté des
actrices et révélateurs de détails triviaux. On entre dans le film sur un plan
d’ensemble montrant Adèle qui sort de chez elle, une barrière blanche à la
peinture craquelée entourée de murets de brique rouge. C’est une nouvelle
journée de cours qui commence dans son petit quartier du sud lillois. Nous la
suivons, elle loupe son bus, elle remonte son pantalon, prend le train, arrive
en cours. Les vannes lycéennes et autres dialogues à base de « wal’a »
fusent. Banalités filmées en traveling horizontal, à hauteur d’homme, pas de
transcendance possible dans ce quotidien que nous connaissons tous. Adèle
pleure, elle morve et parle avec la bouche toute poisseuse ; Adèle mange,
elle rote, en a plein la bouche ; Adèle dort, et une contre-plongée nous
donne accès aux abymes de ses narines. Le personnage nous fait rire, nous nous
sentons peut-être plus élégants qu’elle, mais au fond la sympathie nait :
c’est nous qui sommes à l’écran.
-
Une
satire sociale légère mais présente : l’opposition de deux univers.
Un autre aspect du film que j’ai apprécié a
été la confrontation des deux univers opposés, d’une classe populaire et d’une
classe plus aisée mais pas bourgeoise. D’un monde à hauteur de réalité et d’un
monde qui veut briller. Cette irruption de l’irréel apparait lorsqu’Adèle
traverse la rue pour rejoindre le garçon de sa classe qui lui plaît. (Pour les
lillois, vous reconnaîtrez la statue du colonel Faidherbe en arrière-plan dans
cette scène !) Adèle traverse et est soudainement fascinée par une jeune
femme aux cheveux et yeux bleus. Le travelling horizontal gauche-droite ralentit
et attrape les deux têtes qui s’ignorent d’abord puis se surprennent en se
retournant discrètement. En quelques secondes, la direction que va prendre le
film est donnée. Ces deux univers séparés par une route vont se confronter, s’aimer
et se quitter.
Emma
est étudiante en 4ème année aux Beaux-Arts de Paris, cultive sa
différence, assume son homosexualité, sort dans des bars gays, se teint les
cheveux en bleus, lit Sartre, se cultive. Adèle est en Première dans un lycée
de quartier populaire, est sensible à la magie des mots, des sentiments, mais
ne rêve « que » de devenir institutrice. Adèle rêve de faire ce qui
lui plait tandis qu’Emma veut briller.
Cette différence est soulignée de
manière accrue dans la construction en parallèle des deux scènes de
présentation aux parents. La première, les parents d’Emma. Blason de la famille
moderne recomposée, tolérante, jeune. Emma présente officiellement sa "copine" (les guillemets n'indiquent pas un doute sur cet état, mais soulignent la terminologie employée).
La joyeuse compagnie mange des huîtres arrosées de vin blanc. Néanmoins, le masque de tolérance tombe
lors de l’inévitable question de l’orientation : Adèle ne veut pas viser « plus
haut » que le métier d’institutrice, « tu ne veux pas faire quelque
chose qui te corresponde plus ? ».
Vient ensuite la famille plus populaire d’Adèle :
le plat est simple, les éternelles spaghettis bolognaises du père sont au
rendez-vous. Emma est officiellement une « aide pour les devoirs de
philosophie d’Adèle ». Sa vocation d’artiste n’est pas prise au sérieux et
les parents lui tracent déjà un avenir de femme entretenue par son mari.
Ainsi, ce fossé culturel va séparer progressivement les deux jeunes
femmes, Emma ne tolérant plus le manque d’ambition d’Adèle. Le Désir est ce qui
les réunit, ce qui les transcende et les rassemble à la fois, aussi lorsque
celui-ci s’éteint tout s’effondre.
Ainsi, Kechiche nous offre une forme de
satire sociale légère, plutôt en faveur de la classe populaire de laquelle il
vient lui-même. Se rencontrent à la fois bestialité (dans l’image, attention je
n’émets pas un jugement personnel !) des plus pauvres et superficialité
des bobos, comme en représentation picturale perpétuelle.
-
La
représentation des lesbiennes est fidèle, voire crue mais authentique, donc
réussie.
Alors là sur ce dernier point je ne peux
cacher mon soulagement et ma satisfaction d’avoir enfin pu voir sur grand écran
une scène de sexe lesbien qui ne relève pas du porno lesbien. (Sous-entendu
pour hétéros) Ce dont l’écran cinématographie -et pas que- avait bien besoin. D'une part, les pornos lesbiens se résument à des clichés surjoués et à des détails impossibles : gémissement omniprésents même pour enlever ses chaussures (quel plaisir, il est vrai !), postures lascives face à la caméra mettant en avant les organes des performeuses, ongles de 50 cm de long pour doigter sa partenaire, et j'en passe. D'une autre part, dans une grande majorité des films où une lesbienne apparaît celle-ci
est chargée d’un rôle mineur, et/ou sa sexualité est utilisée pour montrer la
supériorité du schéma hétérosexuel, qui est bien sûr plus durable, plus sûr, et
pas contre nature.
Après
ces immondices, revenons à nos moutons. Voire à nos hérissons. Enfin bref. Les
trois scènes de sexe centrales sont placées au cœur du film comme l’apogée du
désir des deux jeunes femmes. L’union est pulsionnelle et passionnelle, n’a pas
de limites. Les cris sont rauques, les positions esthétiques mais crues voire
triviales, les gestes sont imprécis, brusques, bestiaux, comme non
chorégraphiés. La scène peut être gênante car particulièrement longue mais
permet de répondre à la sempiternelle question des hétéros purs bœuf : « mais
qu’est-ce que les lesbiennes font donc au lit ?? ». Le silence est total dans la salle. Comme face
à toute scène primitive au sens premier du terme, l’audience est partagée entre
un rire dédramatisant et une gêne muette, voire pour quelques couples plus âgés
une envie irrépressible de sortir de la salle.
Abdellatif Kechiche (source : Allociné)
"Nous avons donc tourné ces scènes comme des tableaux, des sculptures. On a passé beaucoup de temps à les éclairer pour qu’elles soient vraiment belles, après, la chorégraphie de la gestuelle amoureuse se fait toute seule, avec le naturel de la vie. Il fallait les rendre belles visuellement donc, mais tout en gardant la dimension charnelle. (...) On a beaucoup discuté, mais les discussions finalement ne servaient à rien (...) parce que tout ce qu’on dit est très intellectualisé, mais la réalité est plus intuitive."
Adèle Exarchopoulos (source : Nouvel Obs)
"Elles ne sont absolument pas chorégraphiées puisque tout, chez Abdel, s’ancre dans le réel. Léa Seydoux et moi nous mettions simplement dans les positions qu’adoptent deux femmes qui couchent ensemble et nous laissions aller. Une chorégraphie rassure peut-être, mais elle ne change rien au fait que faire l’amour passe par des sensations tactiles. Il faut caresser le corps de votre partenaire, lui empoigner les seins, descendre jusqu’à son sexe, l’embrasser. Je ne prétendrais pas qu’au début, nous n’étions pas mal à l’aise et que nous n’avions pas le fou-rire. Mais le fait qu’Adèle découvre ce plaisir-là avec une fille m’a beaucoup aidée. C’était aussi mon cas, j’avais donc le droit de me montrer maladroite ou de me sentir déstabilisée. Et puis Léa Seydoux est une partenaire très généreuse et une belle personne. Je la sentais mon alliée. Notre foi l’une en l’autre a nourri ‘’la Vie d’Adèle’’ et fait évoluer nos personnages. Elle nous a mûries. Elle nous a grandies."
En
dehors du sexe, l’univers lesbien est plutôt bien dépeint, un peu cliché, mais
des clichés plutôt véridiques. La drague dans le bar lesbien, le style
vestimentaire alternatif, les coupes courtes et déstructurées, les tatouages et
piercings, l’évolution en bandes, les mimiques à la limite du jeu d’acteur en matière de séduction. (clins d’œil, regards de braise, petits mouvements de la tête)
Pour conclure, je vous conseille donc vivement d'aller visionner ce film au cinéma, qui mérite ses récompenses, tant pour le jeu des actrices qui effleure l'absence même de jeu mimétique, que pour le regard frontal de Kechiche sur la trivialité des choses quotidiennes, regard teinté de poésie à travers l'omniprésence d'une palette bleutée symbolisant le désir, qui seul, parvient à relier les deux jeunes femmes appartenant à deux classes sociales antagonistes.
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